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🌿 Racines – La merendella : souvenirs au pied du châtaignier

  • Photo du rédacteur: Marie Marchetti
    Marie Marchetti
  • 28 avr.
  • 5 min de lecture

Il y a des moments qu’on ne provoque pas : ils arrivent, tout simplement.

Ce jour-là, pendant la merendella, entre le pain, le vin et les rires, les souvenirs ont commencé à remonter. Les voix se sont entremêlées, les histoires ont jailli, sans ordre précis, comme les bulles d’un vieux vin qui a gardé la mémoire du temps.


On a parlé de tout : des bonbons donnés par le curé, des roustes monumentales, des sucettes au lait cachées dans les murs, des nuits sans électricité où l’ombre des anciens dansait sur les murs.

On a ri, beaucoup. On s’est coupé la parole, on a oublié des bouts, puis retrouvé d’autres.

Et surtout, on a mesuré à quel point ces petites scènes, ces anecdotes parfois insignifiantes, racontaient tout ce que nous étions, tout ce que nous sommes encore.

Un village, une enfance, des racines.

Alors aujourd’hui, je vous emmène là-bas, au creux d’un après-midi simple et vrai, sous le soleil de notre merendella.

Merendella
Merendella
Dans la mémoire de Louis :

Je devais avoir 10 ans, j'était enfant de coeur, on allait bénir les maisons.

Nono, le curé et moi.


On allait dans chaque maison, et il y avait toujours des bonbons. Des fois ils nous donnaient une pièce. Et à la fin, le curé, il nous donnait un peu aussi, mais pas trop, fallait pas rêver.

Moi je me souviens, je suis allé chez Monsieur Carli. Depuis longtemps que je lorgnais sur une sorte de palette, comme les palettes des peintres, je crois que c'était de la gouache.

Ma mère elle disait : « C'est un petit caprice. »

Et là, le curé, il m'avait donné un peu d'argent. J'ai pas attendu. J'ai couru acheter cette palette.

C'était bien. Déjà tout petit, j'étais passionné par l'art.


Madame Marcadier, je m’en veux parce que je sais même plus où elle est passée, cette boîte. C’était une femme parisienne, classe, tu vois.

Elle venait à Bisinchi pour prendre le pain chez ma mère, parce que ma mère faisait le pain au feu de bois. elle venait à pied prendre le pain.

Et donc après elle descendait, elle discutait pendant une heure avec ma mère.

Moi, je regardais fixement, toujours. Parce qu’elle avait des points, des tâches.

Moi, je croyais que c’était des mouches, tu vois. Des trucs noirs sur la peau.

Et moi je regardais : « Putain, c’est des mouches ! ». J'attendais qu’elles bougent, les mouches.

Madame Marcadier, elle avait un de ses fils peintre à Paris, mais ils s’étaient fâchés.

Un jour elle dit : « Ah, j'ai vu que tu fais de la peinture. Je vais te donner quelque chose qui va te faire plaisir. » Et un jour, elle débarque avec une mallette, Elle l'ouvre : des tubes gros comme ça !J’avais jamais vu ça. Il y avait la palette, les trucs pour l’huile. Il y avait un truc de peintre avec le trou pour le pouce, mais aussi un godet pour mettre l’huile de lin. Je l'ai gardé longtemps.

Louis : Quand t'étais petit, 7, 8 ans, tout le monde était assis là sur le mur.

Que des hommes, assis là.

Et nous, les gosses, on faisait attention quand on passait devant. Parce que d’un coup, ils se levaient, deux d’un côté, deux de l’autre : un bras, une jambe. Et hop, ils te tapaient du cul en l'air ! Fallait se méfier.


Quand tu voyais un nuage de poussière entre le village et Ponte-Novu, tu savais que le car arrivait ! Il n'y avais pas de route , et il y avait le ravitaillerment de l’épicerie.

On allait aider à décharger les caisses, et parfois, on avait droit à une friandise.

Moi, je pleurais toute une journée pour avoir une sucette au lait.

Et quand je l’avais, je la cachais dans un trou du mur.

Je la ressortais un bout chaque jour, pour la faire durer.

C’était mon trésor.


On volait le vélo du facteur pour aller faire un tour, mais c’était pas méchant.

À la maison, fallait regarder le pilon de marbre à l’entrée.

S’il était vide, t’étais tranquille.

S’il était plein, méfie-toi...

T’allais passer un sale quart d’heure. Ma mère faisait tremper une corde dans l'eau pour que ça fasse encore plus mal !

On savait pourquoi on prenait des roustes.

Aujourd'hui, pour un truc comme ça, les parents iraient en prison...

Nicolas avait une torpédo, une Citroën décapotable.

Bernard, un ancien peintre de Montmartre, venait l’été. Il avait peint sur la voiture une jambe poilue, énorme, sur la portière.

Quand la roue tournait, on avait l’impression que la jambe bougeait !

Les jantes aussi, peintes, faisaient tourner l’illusion.

Un jour, Nicolas est tombé en panne, dans les virages.

Et il a mis le feu à la voiture !



Le soir, il n'y avait pas de lumière.

Juste les flammes de la cheminée.

Les vieilles racontaient des histoires de revenants, d’ombres qui saisissaient les pieds dans les lits.

Même le légionnaire, disait qu’il avait senti un souffle dans le dos.

Tu courais dans la nuit, tu ne regardais pas derrière toi.

On avait la trouille.


Chez nous, pas de toilettes.

Quand un ami du continent est venu, il a demandé :« Et les toilettes ? »

On lui a dit :« Tu montes là-haut, tu suis les femmes. »

C’était normal pour nous.


Dans la mémoire de Danielle :

À l’école, fallait pas rigoler non plus.

Le maître, il nous faisait ramasser des baguettes de noisettiers dans la cour et il les avait sur son bureau.

Quand tu te trompais, il te disait : « C’est laquelle ta baguette ? »

Et bam.

Et si tu rentrais à la maison en disant que le maître t’avait frappé,

T’en prenais une deuxième !

Fallait pas pleurnicher.



Et quand tu m’avais raconté, qu’avec drap elle te balançait


José : J’étais tout petit, Josy et Maryse me mettais bien à l’aise dans le drap. Et toutes les deux, au bord du mur :« 1, 2, 3 et hop ! » Et hop, elles me balancait !




Les fous rires de la merendella

Entre les anecdotes de voitures peintes à la main, d'aventures au bord du chemin et de souvenirs d'épiceries, tout le monde riait, se coupait la parole, s'interpellait :

« Tu te souviens, José ? »« Mais non, ce n’était pas là, c’était plus haut ! »« Tu vois comme on a changé… avant pour une sucette, on pleurait toute la journée. »


Et sous le soleil de cette journée, il y avait cette certitude que ce passé-là, avec ses rires et ses cicatrices, avait forgé des liens qu’aucune modernité ne pourrait jamais effacer.


Chacun a replongé dans ses pensées, avec dans le cœur un peu de ce qu'on avait partagé : des instants suspendus, des rires francs, et cette certitude qu'on avait touché, l'espace d'une journée, quelque chose d'essentiel.


Ce qu'on était. Ce qu'on est encore.


Et ce qu'on restera, tant qu’il y aura du pain dans les mains, et des souvenirs à raconter sous le ciel de notre village.


Racines – La merendella : souvenirs au pied du châtaignier


 
 
 

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