top of page
Rechercher

Racines - Chronique d’une enfance dans un village corse – Milieu des années 50

  • Photo du rédacteur: Marie Marchetti
    Marie Marchetti
  • 14 avr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 6 heures



Il suffit parfois d’une voix pour faire revivre un monde. Celle de mon père, nous ramène dans un village de montagne corse, Bisinchi, au milieu des années 50. Une époque pas si lointaine, et pourtant presque disparue.

Là-haut, les journées d’un enfant s’inventaient entre les ruelles, les champs, les odeurs de bois et les animaux familiers. Il n’y avait ni télé, ni montre au poignet, mais une liberté immense, rythmée par les saisons, les voix des anciens, et les traditions que l’on apprenait sans même s’en rendre compte.


À travers ses souvenirs, ce sont les racines d’un mode de vie que je souhaite partager. Des souvenirs vivants, transmis simplement, comme autour d’un feu ou d’une veillée. Ce premier épisode de Racines est une chronique de l’enfance, telle que mon père l’a vécue, au cœur d’un village corse dans les années 50.



 


  • Comment était une journée type quand tu étais petit ?

J’ai pas énormément de souvenirs de quand j’étais tout petit, mais ce dont je me rappelle bien, c’est que j’étais toujours collé à Antoinette, à pleurer.

A six ans, j’allais à l’école. Mais ce n’était pas comme aujourd’hui. À la maison, chacun avait ses petites responsabilités. Moi, comme j’étais le plus petit, je faisais ce que je pouvais avant de partir. On n’avait même pas de cartable. Je me souviens qu’on se disputait une vieille musette en cuir noir que mon père utilisait pour aller aux brebis. Il nous la prêtait pour mettre nos livres. Elle sentait fort le cuir. On se battait avec Pierrot et Cathy pour avoir le droit de l’utiliser. On voulait arriver à l’école avec ça, c’était comme un trésor.


  • Et le matin, tu faisais quoi avant l’école ?

Pierrot allait nourrir les cochons, au-dessus de l’église d’Espago. Il portait un seau en étain, gris, que je revois encore. Moi, je passais devant une cabane en dur, qui servait de poulailler. Je devais regarder si les poules allaient pondre.

Puis on allait à l’école, on passait par la fontaine d’Espago. Avant, il n’y avait pas de route, c’était tout en pierre, des pavés sur au moins 50-60 mètres. J’entendais souvent Mimi crier depuis la maison : “T’as oublié tes cahiers !” Je retournais en courant… Ça m’est arrivé plus d’une fois.


  • Vous étiez nombreux à aller à l’école ?

Oh oui, il y avait Henri, Pierrot, Mimi, Antoinette, Cathy, Juliette… il y avait plein de grandes familles.


  • Et le soir, après l’école ?

Pas de pause. On allait chercher l’âne, là où il y a aujourd’hui la cabane des chasseurs. Il fallait le rentrer sous la maison, lui donner de la paille. Antoinette et Mimi s’en occupaient. Il y avait aussi les œufs à ramasser…


  • Et vous jouiez parfois ?

Oui, un peu. Là où il y a la grande cuve à Espago, c’était notre bergerie. Il y avait gros chêne avec une balançoire attachée. François, ou parfois Ange, nous poussait fort, parfois trop fort ! C’était plus pour nous faire tomber qu’autre chose.


  • Tu allais aux brebis, toi ?

Non. J’avais peur qu’on m’apprenne à traire, et qu’on me donne cette responsabilité. Pierrot, lui, aimait bien traire. Moi, jamais.


  • Le soir, comment ça se passait ?

Mon père et Pierrot descendaient avec le bidon de lait qu’ils posaient dans la cour. Nous, on descendait avec une grande casserole bleue, on versait le lait, on le faisait bouillir pour le lendemain matin. Et après, on mangeait la soupe quasiment tous les soirs.


  • Et pour vous distraire ?

Pas de télé, bien sûr. Un jour, mon père a gagné une radio à la foire du col de Pratu. Il l’avait posée sur une planche, au-dessus de la cheminée. On était les seuls à Espago à avoir ça. Tous les soirs, on écoutait un conteur corse. Lucien, qui était sourd de l’oreille gauche, venait écouter en collant son oreille droite à la radio.


  • Vous faisiez quoi d’autre le soir ?

On jouait à un jeu tu poses ta main et on tape dessus. Ça chauffait bien ! À 7h30, 8h, tout le monde au lit. Moi, je dormais avec mon père et Pierrot.


  • Et pendant l’été ?

Je me souviens il y avait Madame Marcadier qui arrivait de Paris. Une vraie dame : belle robe à pois, de belles dents — chez nous toutes les vieilles n’avaient plus de dents ! Elle nous apportait des gâteaux.


  • Tu avais peur de certaines choses ?

Des avions. Quand on en entendait un passer, je courais me cacher dans la mangeoire. On pensait qu’ils jetaient des bombes, on nous racontait la guerre et comme François et Philippe étaient en Algérie…


  • Et pendant les récoltes ?

La coupe du blé, les châtaignes… On travaillait dur. On montait les sacs à dos d’âne, on utilisait une poulie pour les hisser dans le rattaghju. On avait des tonnes et des tonnes de châtaignes. Avec Pierrot, on plongeait dedans… au risque que tout s’écroule.


  • Et l’hygiène, alors ?

On ne se lavait pas souvent. Une seule paire de chaussures qu’on raccommodait avec un outil pour coudre le cuir avec du fil de fer. On passait l’hiver sans vraiment se laver on attendait le printemps.


  • Et les cochons ?

On en élevait. Quand Cognetti venait les castrer, c’était toute une cérémonie. Il utilisait du tabac à mâcher et recrachait dans la plaie. C’était rustique.


Bisinchi

Racines - Chronique d’une enfance dans un village corse – Milieu des années 50

Comments


bottom of page